jeudi, avril 03, 2008

C'est long...

Contrairement à la grève de Bellinzone, cet "édito" joue les prolongations. Mieux vaut cela que l'inverse :) Les modifications se trouvent à la fin. Merci!


Avant d'expliquer le pourquoi de ce titre, Karl doit faire une petite parenthèse dont il s'excuse. Il la place au début à contre-coeur, pour que ceux qui passeraient sur ce blog pour la première fois ne la ratent pas.


Démenti

En effet, il faut bien peu connaître les lieux pour propager la rumeur selon laquelle Fred Charpié, qui se porte candidat à la présidence du Parti socialiste du Jura bernois, serait Karl. Cette rumeur est fausse et je la démens ici, comme je l'ai démentie dans les pages du Journal du Jura.

J'ai créé le personnage de Karl pour la Boillat et seulement pour elle. Dès le départ, j'ai assuré à chacun que la notoriété de Karl ne serait jamais employée autrement que pour soutenir le juste combat des Boillat et pour faire vivre son héritage. Ainsi, il n'a jamais été question de devenir membre d'aucun parti politique, quelles que soient les idées qu'il défend et le respect qu'il mérite.

Dès lors, les intéressés sont priés de prendre note du fait que Karl est à jamais un personnage collectif, issu de mains anonymes. Merci.


C'est long...

Quand une des Femmes en colère, en entrant à l'usine CFF Cargo de Bellinzone, a demandé au gréviste qui gardait l'entrée si ça allait, il a répondu "C'est long...". Comme quoi, une grève peut être résumée en deux mots. Les travailleurs attendent, ne savent pas de quoi sera fait leur avenir et espèrent une simple chose: travailler de nouveau. Ils attendent que là-haut, du côté de la direction, on veuille bien se décider.


C'est parce que la grève de Reconvilier et celle de Bellinzone ont bien des points communs que les Femmes en colère ont magnifiquement organisé une soupe aux pois. Environ 1500 francs y ont été encaissés (merci à ceux qui sont venus!) et l'idée a germé d'apporter directement cette collecte, le dimanche, aux grévistes de Bellinzone. A Bellinzone, tout a donc commencé par un "C'est long...", qui marquait le début d'un accueil extraordinaire. Pour tout en dire, il suffit de savoir que la somme a été remise devant les 8'000 manifestants, à la demande des grévistes, qui ont en haute estime ce qu'on fait les Boillat.


Mais que se passe-t-il, alors, à Bellinzone? Une grève dont les grévistes disent qu'ils n'auraient peut-être pas osé la mener si, à la Boillat, on n'avait pas osé. Une grève parce qu'ils font face à une direction qui les a traités comme des moins que rien. Jusqu'à dernièrement, les CFF investissaient à Bellinzone des dizaines de millions. Les 8 millions qu'ont coûtés la dernière machine n'ont pas été utiles: elle n'était pas encore en service que la direction annonçait la fermeture de l'usine. L'usine -les officine, ou ateliers-, d'ailleurs, est en très bon état: les bâtiments sont souvent neufs, ou rénovés récemment, les ateliers sont entretenus avec soin: tout laissait imaginer que CFF Cargo Bellinzone avait un avenir superbe devant elle! Un peu comme la Boillat, non?

Mais voilà, un changement de directeur, une nouvelle stratéchie de la table rase, et Bellinzone, du jour au lendemain, d'après des chiffres introuvables, était un poids mort. Rien que pour le mépris contenu dans un tel changement de cap, une grève se justifie.


On peut bien envisager que si tout avait été centralisé à Bâle, ou ailleurs, dès le départ, CFF Cargo se porterait mieux. Mais là, maintenant qu'il faut démanteler et déplacer, quel coût pour le savoir-faire perdu? Quel coût pour le transport et le redémarrage des machines? Personne ne sait, mis à part une certaine direction. Comme le remarque Ron Hochuli dans Le Temps du 3 avril:
"Au-delà des mesures d'assainissement si controversées, la stratégie pour ramener CFF Cargo sur les bons rails paraît encore très nébuleuse. Les responsables n'ont toujours pas dévoilé de chiffres détaillés sur les différents pans d'activités. Pour l'heure, ils n'ont divulgué que des idées très sommaires".
Bel euphémisme! Au fond, une direction, qui n'a jamais visité le site de Bellinzone, décrète qu'il faut repartir de zéro, comme si ce nouveau départ allait apporter des miracles et être gratuit. Une proposition, pour calmer les grévistes, vient alors à point nommé: 60 emplois seront conservés à Bellinzone. 60 emplois, sur plus de 400, dont 70 (!) apprentis. Que fera-t-on, avec 60 employés? De la peinture? De la menuiserie? Un peu de mécanique? Amènera-t-on les locomotives pour les démonter, en réparer la partie électrique, puis les remonter et aller les démonter de nouveau à quelques centaines de kilomètres? Comme la Boillat, les officine sont un tout, et supprimer des parties de ce tout rend l'ensemble inefficace.


Aussi loin que Karl puisse voir, ce qui se passe au Tessin est approximativement aussi aberrant que ce qui s'est passé à Reconvilier. De ce fait, Karl souhaite de tout coeur que les grévistes de Bellinzone remportent leur combat et invite chacun à témoigner sa solidarité. Le geste le plus simple consiste à signer l'appel en ligne à ce lien ou à l'imprimer via ce lien, puis à l'envoyer aux grévistes. Oui, c'est sur le site d'Unia, mais soyez sûrs que le comité directeur du syndicat n'est pas plus en odeur de sainteté au Tessin que dans le Jura bernois! Quelqu'un, Michela, a aussi créé un blog sur cette grève, que voici: www.rivoltatraledita.splinder.com. Pour l'ambiance, il faut allumer ses haut-parleur!


Pourquoi?

Pourquoi Karl, au-delà d'une solidarité de coeur et de points communs, parlerait-il de cette grève tessinoise? Une expression revient souvent, celle de "région périphérique". Le Jura bernois, comme on a pu le constater de toutes les manières, a un poids politique proche de zéro (il suffit de songer à la N16). Il en va de même pour le Tessin. Même, le sentiment d'être abandonné par l'Etat y est encore bien plus fort, pour différentes raisons. Ce qui fait la force d'un Etat, ce n'est pas seulement l'efficacité économique, mais le fait que les citoyens y croient, qu'ils se sentent protégés et valorisés. Au moment de fermer les officine, il serait bon d'y repenser.

Mais surtout, il semble que du côté des dirigeants, on se moque de plus en plus de la paix du travail. La paix du travail, ce n'est pas que les CCT. C'est un combat, entre syndicats et patronat, qui se déroule avec un minimum de respect. La paix du travail sous-entend, je crois, que le travail de chacun est reconnu comme une valeur en soi, par chacun. Or, avec un Hellweg comme avec un Meyer, la paix du travail n'est ni plus ni moins qu'un outil d'interdiction des grèves. Quant aux CCT, ce sont de longs papiers, difficiles à lire, et tellement ennuyeux...

La réponse des travailleurs à ce mépris est la grève. Faudra-t-il encore beaucoup de grèves pour restaurer un partenariat social viable? Ou cette fois-ci nos autorités, propriétaires des CFF, vont-elles faire prévaloir le bien-être des citoyens sur les délires stratéchiques de quelques excités?

"Giù le mani dalle officine!"
"Bas les pattes des ateliers!"



Et la Boillat?

Avant de reparler de la Boillat, Karl doit encore travailler un peu ses informations. Il faut dire, aussi, que Martinou sait se couvrir de ridicule sans qu'on l'aide! Rachat d'une entreprise en faillite, pseudo-nouveautés, tout y passe! Et, c'est un fait, la Boillat aussi y passe...


Retour à Bellinzone (10.04.2008)

Les Boillat avaient obtenu une médiation, on s'en souvient. Jose
ph Deiss, qui voulait juste laisser cette affaire loin de son bureau, n'avait pas trouvé mieux. Et Rolf Bloch, dont la récente interview -Karl se demande toujours si ce n'est pas un poisson d'avril- laisse croire que ce fut un succès, avait logiquement échoué. Faire en sorte que les agneaux et le boucher fassent ami-ami autour d'une machine à saucisses, ça ne marche pas. Les membres de la délégation Boillat l'avaient souvent répété: à la médiation, on qualifiait les informations de la partie adverse de fausses, et les choses en restaient là. Personne ne pouvait définir le vrai, puisque ce n'est pas là la tâche du médiateur, et l'expert, Jürg Müller, n'a jamais pu imposer une délimitation entre les fabulations de Martin Hellweg et les résultats de son travail.

A Bellinzone, les travailleurs ont donc obtenu autre chose: un arbitrage. Nicolas Wuillemin, et les Boillat avec lui, l'avait souvent demandé à Rolf Bloch, sans succès. La solution résidait dans l'arbitrage. Les conditions politiques n'étaient pas les mêmes, et il valait mieux pour les autorités laisser le conflit s'engluer dans une médiation plutôt que de désavouer Martin Hellweg et Swissmem.

Un arbitrage, c'est la possibilité de distinguer entre le vrai et le faux, et de faire prévaloir le vrai. Si la direction de CFF Cargo s'est trompée, quelqu'un le lui dira, et les plan seront revus en fonction de cette erreur. Si les travailleurs doivent revoir leur copie et acce
pter certains sacrifices, cela leur sera expliqué et démontré. Ce n'est pas grand chose, pourrait-on croire... Mais il semble que par les temps qui courent, donner tort à un top manager est plus grave que de licencier sur un coup de tête des centaines de personnes. Bien sûr, il ne faut pas espérer une parfaite impartialité, mais justice, au moins un peu, il y aura. Enfin!

A Bellinzone, on peut donc fêter la victoire, car c'est bien une grande et belle victoire. A mon avis, sans trahir l'esprit des grévistes des deux régions, on peut considérer que les Boillat peuvent dire qu'ils y ont pris part. Peut-être n'ont-ils pas sauvé leur usine, mais ils ouvert un chemin, et à quel prix! Cette victoire, comme nous aurions voulu la fêter aussi à la Boillat, et combien l'aurions-nous méritée... C'est dur à dire, mais les choses sont ainsi faites que la joie de nos amis tessinois ne cicatrise pas les plaies ouvertes à Reconvilier. Pourtant, il ne faut pas en rester là: la grève de Bellinzone a montré que ce qu'on fait les Boillat n'a pas été vain, et que d'une étincelle est née la flamme d'une juste révolte. Et parfois, les révoltés l'emportent!

Ainsi, ne manquez pas la fête de ce samedi, aux officine de Bellinzone. Assurément, comme l'a dit Michela dans les commentaires, nous y sommes les bienvenus. Il est temps, pour ceux qui se battent avec tant de courage pour leur outil de travail, de fêter un peu!


Karl souhaite une longue vie aux officine et une longue vie à leurs travailleurs! Puissent-ils réparer encore des milliers de locomotives. En les regardant rouler, je penserai à eux.

Photo par Michi B., Officine CFF, Bellinzone, 5 avril 2008.