jeudi, février 02, 2006

Not' p'tite Vallé et sa Boillat

Vous amis quand même

Quand on suit l'actualité, on se dit que certains croient que pour accéder à la Vallée de Tavannes, il faut acheter un traineau et des chiens. Du côté de la direction de Swissmetal, on a aussi l'air de croire ça, puisqu'ils donnent leurs conférences de presse à Zürich.

Soyez rassurés, amis de la Goldküsste, des côtes lémaniques ou d'ailleurs, l'industrieux indigène de la Vallée de Tavannes ne vous mangera point si vous traversez un jour ses terres!

Soyez aussi rassurés, le conflit qui a lieu en ce moment au sein de Swissmetal n'est pas une histoire de chef de tribu, de sorcellerie ou de sanglier pas frais (la mer est trop loin pour qu'il s'agisse de poisson), mais bien une vraie grève, comme parfois chez vous.

Soyez encore rassurés, la solidarité qui s'exprime dans cette région n'est pas l'effet d'une trop grande consanguinité, mais bien celui d'un sens exemplaire de la dignité et des responsabilités.

En voici peut-être la démonstration. Voici aussi pourquoi (j'espère du moins avoir su l'expliquer un peu, qu'on me corrige sinon) les grévistes sont tellement soutenus et tellement déterminés. J'espère aussi que mes souvenirs, parfois lointains, ne sont pas trop déficiants et vous permettront de vivre un peu "la Boillat".


La Vallée du mystère

La Vallée de Tavannes a la particularité d'être une suite de villages de taille moyenne, contenant pour la plupart de bien grands bâtiments, assez mystérieux, pour qui n'y est jamais entré. En fait, cette vallée n'est pas un repaire d'agriculteurs bio (même s'il y en a), mais bien le lieu d'un tissu industriel dense, et vivant. Certains les trouvent laids, ces bâtiments, mais pas les habitants du coin. Pour eux, c'est plus compliqué.
La plupart de ces édifices se sont souvent bien vidés, ou ont été dénaturés, le propriétaire de toujours disparaissant, ou en en quittant des parties. Tavannes-Machines à Tavannes, la Tornos à Moutier (donc pas tout à fait dans la Vallée), la Schaublin à Malleray-Bévilard, etc. Plus loin dans le passé, la Tavannes Watch. Toutes ces grandes halles, abritant ces noms prestigieux, petit à petit, se sont mises à symboliser des problèmes toujours plus vifs: licenciements, tragédies familiales. Des entreprises sont nées aussi, certes, redonnant un peu de souffle à la région.

Ces énormes bâtiments ont donc tous une grande histoire, glorieuse et triste, qui touche chaque habitant. Pour ces raisons, ils bénéficient, je crois, d'une certaine sympathie de la part des gens de la région. Ils ne sont pas laids ou beaux, ils sont là, et ils ont quelque chose à dire, ils sont une mémoire.


La Boillat, la nôtre

Il manque bien sûr une entreprise à cette liste, la Boillat. Si vous ne la connaissez pas, vous direz "Swissmetal Boillat" mais dans la Vallée, tout le monde dit "la Boillat". Et la Boillat fait partie du paysage depuis si longtemps que les entrepreneurs de la région en ont fait un proverbe: "Quand la Boillat va, la construction va", c'est dire s'il faut qu'elle aille, la Boillat, du haut des ses 150 ans.
La Boillat, c'est deux usines, sobrement nommées "l'usine du haut" (ou "usine 1") et "l'usine du bas" (ou "usine 2"). L'usine du bas est récente: les halles sont vastes, bien éclairées, les chemins droits et sans obstacles, les machines bien alignées, avec une logique fermement réfléchie. Il y a un gros filtre à air au plafond, fonderie oblige, une sorte de filtre de cigarette géant. Vous êtes fumeur et désirez arrêter? Le nettoyage du filtre est peut-être une bonne méthode.

Une partie de la fonderie... Du beau matériel. Et des travailleurs qui savent s'en servir quand ils ne sont pas acculés à simplement le défendre.
On y trouve donc la fonderie, que la direction de Swissmetal veut déplacer. Là sont pourtant élaborés les alliages qui font la haute réputation de la Boillat. Et déplacer cette énorme structure, dont on ne peut que penser qu'elle est faite sur mesure pour son bâtiment -ou l'inverse-, est une véritable folie pour les travailleurs du lieu. Pensez-vous, la fonderie la plus moderne d'Europe, un système dans lequel on trouve, entre autres, un four d'une contenance de 10 tonnes, déménagée dans un bâtiment dont on est surtout sûr qu'il ne pourrait pas l'accueillir.
Voir couler des tonnes de métal en fusion, dans une chaleur étouffante. Un peu plus bas, voir ce métal durci coupé à la scie circulaire en billettes, sortes de bûches assez grosses. Tout autour, sur plusieurs étages, des hommes dans la fumée, le bruit et la fournaise, travaillent comme des fourmis sur une fourmilière. Le spectacle a un goût de science-fiction pour le non-initié. Casque obligatoire.
La légende est (bien) cachée dans la photo. La Schu...
Une place est souvent nommée grâce au nom d'une machine qui s'y trouve: Le four Solo, le 10 tonnes, la 8 fils... dans l'usine du bas. Dans l'usine du haut, ce sont plutôt les Ebner, les Schumag, les Ripoches... Dans les deux usines, les tréfileuses Herborn et Eurodraw. Si l'usine du bas commence par une fonderie et finit par un quai à camions, celle du haut commence par des presses, la Klus et la Loewy. Vue de l'extérieur, l'usine du haut ressemble à un voyage dans le temps: des morceaux, ajoutés au fil des époques, forment ensemble un mélange architectural bizarre. Une sorte de puzzle, tout cela. Et l'intérieur le reflète. Derrière les vitres, le piéton, depuis son trottoir, peut regarder les gens au travail à peu près à n'importe quelle heure. Toujours, sous ses yeux, du fil qui s'enroule à une place, ou se déroule à l'autre, à grande vitesse. Redressé, laminé, poli, étiré, brossé, lavé... Il en a une vie, le fil. L'intérieur est un peu un labyrinthe... La sortie, avec son quai à camions, est récente, mais en remontant un champ de machines, de cuves et de hautes cloches, on croise une voie de chemin de fer. La petite montée qui suit est difficile à prendre avec les vélos militaires à disposition, et il faut faire attention à la circulation. Des étroitures, des obstacles et des choses dont il semble parfois que celui qui les a posées là était le grand-père de celui qui se trouve à côté: le lieu a son charme antédiluvien.
La presse Loewy, là-haut, est un gros agrégat indéchiffrable de métal: cadres, tuyaux, supports, escaliers, piston. Servant à presser les billettes pour en faire des fils de différentes sortes, elle est l'une des visions marquantes du lieu. Les métaux arrivant préchauffés à plusieurs centaines de degrés et sont extrudés par un piston exerçant une pression gigantesque, à travers un petit trou qui le transforme en fil profilé. Le travail sur cette presse est très dur, parce que la chaleur est intense, et la cadence élevée. En effet, le convoyeur à billettes, qui fait penser à un train électrique de grande taille, fait zigzaguer les billettes et les mène implacablement entre le piston et le petit trou, pendant que des ouvriers s'agitent tout autour, réglant la marche de l'immense machine. Sous la Loewy, un tunnel fait penser à des catacombes, sombres et humides, où dorment à jamais des familles entières de fils électriques dont le voltage laisse songeur, surtout quand on a les pieds dans une flaque d'eau.
On peut aller encore plus haut, longer d'autres machines aux fonctions surprenantes et arriver à presse Klus, un peu la doyenne de l'usine. On peut se perdre plus bas et, en prenant le mauvais escalier, se retrouver dans des bureaux calmes, hébergeant les cadres du lieu, ou finir dans un cul-de-sac, au milieu d'une pile de caisses.
Tout cet assemblage improbable fonctionne pour produire des semi-finis, notamment en laiton. D'abord, les matières premières, cuivre, zinc et autres sont fondues et mélangées à la fonderie, d'où sortent les billettes ou du fil grossier d'alliage de la qualité désirée.
Les billettes sont pressées aux presses, tandis que les fils, issu de la fonderie ou des presses, sont passés dans les différentes machines de recuit, de laminage, de tréfilage, de brossage... La qualité dépend donc de l'alliage, de la précision du diamètre, de l'absence de fissures, de la qualité de la surface, entre autres, des fils et barres. Vos pointes de stylo Bic viennent de ce type de processus. Les matériaux qu'utilise une grande partie de l'industrie régionale aussi. La Boillat est un outil de travail complet, efficace et indépendant... Tant que ses employés la protègent.
On peut en croiser, du monde, dans ces deux usines. L'ambiance est plutôt bonne, même si depuis quelques années, la tension croît lentement, mais sûrement, ainsi que la déprime. Par-ci, par-là, on entend des gens crier, parce que certaines machines font un bruit qui couvre la voix. Protection auditive obligatoire. Mais les travailleurs, ouvriers, manutentionnaires, mécaniciens, soudeurs, agents de planning, techniciens, ingénieurs et j'en passe, s'adressent la parole avec respect. Tous les problèmes sociaux que vous pensez existent là aussi, mais cela n'empêche pas que chacun est traité, selon l'usage du lieu, d'une manière correcte. Sauf par la direction du groupe, qui aboie ses ordres de loin.
La grève
La Boillat, c'est l'usine de la Vallée qui n'a jamais failli. Elle est toujours là, elle est toujours pleine, elle a toujours marché, malgré le management déficiant du groupe Swissmetal, malgré la concurrence, malgré les difficultés et les restructurations. Jamais les employés, dans leur grande majorité, n'ont reculé devant les efforts et les sacrifices, qu'il s'agisse d'être conscienceux, de faire des heures supplémentaires, de perdre les petits avantages sociaux (comme l'infirmière d'usine) ou de serrer les dents en voyant des collègues licenciés. Même, les sols de Reconvilier sont en grande partie pollués au métaux lourds, à cause de la Boillat d'avant les filtres à air. Tout ça, on lui a pardonné. C'était pour une sorte de raison d'Etat: c'était pour faire vivre la Boillat, coûte que coûte.
Là, pour faire vivre la Boillat, il font la grève, ses employés. J'espère que ce texte vous permettra, à vous, qui ne connaissez peut-être pas la Boillat, de comprendre ces gens, et de comprendre ce en quoi ils croient tellement. Soyez-en sûrs, ils ne céderont pas, parce que là encore, ils se battent pour la vie de leur usine, à laquelle ils sont profondément attachés, et toute leur Vallée derrière eux.
La Vallée de Tavannes sans la Boillat, c'est inimaginable.

13 Comments:

Blogger Karl said...

Oulala que c'est long ce texte... Bon, j'espère avoir été à la hauteur... Merci pour vos remarques si vous en avez!

février 03, 2006 12:14 AM  
Anonymous Anonyme said...

Je vous tiens les pouces et vous adresse tous les encouragements
possibles...

C'est vrai que mon mari a été lâchement jeté le 1er juin 2004. Nous avons vécu, lui et moi, 18 mois de galère... Il a beaucoup donné pour La Boillat.

Lui aussi, il n'a jamais calculé ses heures et je peux vous dire que
cette nouvelle direction lui a fait beaucoup de mal... Je sais tout ce qu'il avait mis en place du point de vue social.

Beaucoup d'entre vous l'ont connu ou ont eu affaire à lui... Il y était depuis 16 ans et formait une super équipe avec Willemin et Anne-Marie... Personnellement, j'y ai travaillé quelques années au service d'Assurance Qualité... J'ai dû cesser mon activité pour cause de maladie incurable.

Tout cela pour vous dire que j'ai toujours ressenti cette solidarité, cette chaleur qui émanait de cette entreprise....Il ne faut pas que le fric casse tout... Vous avez raison de vous montrer, il faut toujours
un exemple, pour montrer que, ouvriers ou cadres, on mérite
tous le respect.

Mon mari ne sait pas que je vous écris. Mais, question respect
de la personne, Guy Steulet est vraiment un exemple dont je suis fière.

J'espère de tout cœur que vous n'aurez pas à subir ce qu'il a subi...

Je vais vous paraître vulgaire, mais je tiens à dire qu'être "renvoyé comme une
Merde" c'est inacceptable et cela détruit la personne et ses
proches......

Allez, On y croit !!!

février 03, 2006 12:19 AM  
Anonymous Anonyme said...

BONJOUR,

VOUS AVEZ LE SOUTIEN TOTAL POUR VOTRE MOUVEMENT... DES ENFANT DE ETIENNE de COULON, QUI FUT DIRECTEUR DE LA FONDERIE BOILLAT SA DE 1955 A 1980.

NOUS GARDONS DE TRES BONS SOUVENIRS DE NOTRE ENFANCE A RECONVILIER, LA VIE Y ETAIT AGREABLE, LA FONDERIE FAISAIT DES GENS HEUREUX... IL FAUT QUE CELA CONTINUE, VOUS AVEZ RAISON DE VOUS BATTRE.

AMICALEMENT

GILLES, BERTRAND, ET ARNAUD de COULON

février 03, 2006 12:24 AM  
Anonymous Anonyme said...

Que serait devenus la Boillat si elle n'avait pas été intégrée dans le groupe Swissmétal? Elle en était à quoi, avant ce rachat?

février 03, 2006 1:12 AM  
Blogger Karl said...

cf: "L'aventure Boillat, chronologie et histoire", dans ce site (archives de janvier 2006, en bas).
Vous y verrez que sans Swissmetal, elle se serait probablement bien portée...

février 03, 2006 1:23 AM  
Anonymous Anonyme said...

Merci. Me voilà précisément au courant de l'historique, n'étant pas de la région. Les holdings et entrées en bourse signifient malheureusement aussi le plus souvent la perte du contrôle total se son entreprise.

février 03, 2006 1:38 AM  
Anonymous Anonyme said...

J'ai eu la chance de pouvoir faire un tour dans l'usine du bas. J'ai eu la chance de rencontrer la fonderie.
Que Hellweg et Cie puissent seulement imaginer déplacer ces immenses machines, ces géantes déployées sur 4 étages, c'est soit la preuve d'une bêtise dépassant la taille des machines, soit celle de la méconnaisance totale du site de la Boillat...

février 03, 2006 2:19 AM  
Anonymous Anonyme said...

Que se passe-t-il dans la tête de madame Bédat si elle en a une. Les ouvriers de la Boillat sont bien content d'avoir un type aussi brillant que Mr. Zuber qui les défend. Lui au moins il ne fait pas ça pour sa gloire, il nous soutient et prend le temps de venir dans notre usine, il sait parfaitement de quoi il parle. Nous avons de la chance. Dans l'émission infra rouge les ploucs d'en face n'ont pas fait le poids.
Toute la Suisse a vu qui étaient ces grands statèges.

Un ouvier pas content avec Mde Bédat

février 03, 2006 1:21 PM  
Anonymous Anonyme said...

l'entreprise x est en difficulté, en parle avec son banquier. Un jeune loup venu de nulle part en passant par St Gall et Harvard vient vendre ses services... en 5 cinq ans il remet l'usine sur les rails ! Convaincant, convaincus, marché conclu (1million s/5 ans)
1. A,B & C (banquier, consultant économique et avocat-juriste) entrent au Conseil d'Administration
2. Investissements mais aussi licenciements
3. Après une année... retour des chiffres noirs
4. Re-investissements mais aussi re-licenciements qui vont avec. Le personnel restant bien sous pression, travaille à fond. Hautes technologies, produits d'excellence, certifications haut de gamme...en 4 ans tout y est. merci jeune loup, merci A,B & C.
5. Pour A,B & C il est temps de vendre à la concurrence. Investissement de départ "10m", prix de vente après 5 ans : 5 ou 10 x "10m" ?
6. Le nouvel acquéreur ferme l'entreprise, les locaux sont à vendre ou à louer. Le personnel ????

C'était une stratégie sur 5ans.....

Comme dirait le vice-président du CM de Swissmetall : c'est pas notre faute, c'est la faute aux Chinois et aux Indiens qui sont d'accord d'acheter nos entreprises pour supprimer la concurrence.....

février 03, 2006 3:20 PM  
Anonymous Anonyme said...

Je suis un heuereux retraité ayant eu la chance d'avoir à faire à des patrons qui me respectaient !
Je comprend votre combat et vous soutiens et répond à chaque appel pour mainfester avec vous et vous soutiens fiancièrement. J'admire votre dignité dans votre épreuve.
Créez un réseau d'appel en cas de besoin, je répondrai présent. Manifester est encore un droit démocratique.
Tenez bon, car il est grand temps que les décideurs sans scrupules, sans respect des collaborateurs à qui ils doivent pourtant la plus grande partie de leurs bénéfices, comprennent que la dignité humaine ne s'achète pas et que tôt ou tard ils paieront chèrement leurs excès dans la recherche des seuls et uniques résultats en % d'augmentation des bénéfices.
Vous serez une référence pour de nombreux salariés.
Les Chinois ne pourront pas être exploités à l'infini, eux aussi se mettront à revendiquer leurs respect et leurs participation aux résultats de leurs entreprises.

février 04, 2006 5:12 PM  
Anonymous Anonyme said...

Merci ! je visite tous les jours ce blog génial, écoute les nouvelles, mais je veux revenir sur ce texte qui explique si bien, si clairement la Boillat - il est passionnant, parce qu'il permet de bien comprendre tous les enjeux, économiques bien sûr, mais aussi humains, la passion et la dignité du travail, la passion de la belle ouvrage-et donc la dignité des grévistes. Humainement, émotionnellement, j'ai eu les larmes aux yeux à la fin de ce texte, et rationnellement, il incite à soutenir encore davantage les grévistes.
Mission accomplie, Karl !

février 05, 2006 10:41 PM  
Blogger Karl said...

Merci pour les mots sympathiques à propos de ma description de la Boillat.
J'espère continuer à être à la hauteur!

février 06, 2006 2:24 AM  
Anonymous Anonyme said...

Se fut une magnifique journée pleine de solidarité, d'émotion, et de parolle qui réconforte, dans se monde ou le mot solidarité n'a bientôt plus de sens.
Grâce à votre courage, ouvriers de la Boillat, vous nous donnez une sacré leçon de vie.
Enfin dans ce pays, vous combattez se monde de la finance, où tout tourne autour du profit, de l'égoisme, et de la désoladirité, en 4 mots, "le chacun pour soi"
Je vous tient les pouces pour les prochaines échéances, et surtout, ne lâché rien devant l'arrogance de ses inhumains.

février 12, 2006 10:16 AM  

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