dimanche, juillet 10, 2011

La Boillat, le grand départ (Karl, le retour)

Merci!

Après tout ce temps... Après tout ce temps, je n'avais pas tourné la page. Comme pour vous, elle ne sera jamais vraiment tournée. On n'oublie pas. J'avais juste d'autres occupations. Fini les études, bonjour le travail! Mais après tout ce temps, il n'est pas un jour sans que je pense à la Boillat, comme vous sans doute. Y penser, ce n'est pas seulement triste. Tant de personnes courageuses se sont battues pour elle que je suis heureux de les avoir côtoyées. Même dans très longtemps, ce sera encore ma plus grande fierté.

Ce billet commence donc par un immense "merci". Merci pour la leçon de dignité, pour celle de courage, pour celle de loyauté, pour celle d'amitié. Si j'écris aujourd'hui, c'est parce qu'on me l'a gentiment demandé. Je pensais que Karl dormait dans l'oubli. Mais vous ne l'avez pas oublié. On n'oublie pas. Ca me touche.


Plongée dans les poubelles

Il faudrait en rester là. Dire merci. Ce serait bien. Mais ces jours, l'odeur de vomi de la poubelle swissmetalienne remonte à nos narines. C'est dans ce vent de puanteur que Karl revient pour un tour de piste, pour prêter sa petite voix à ses amis de la Boillat.

Il y a quelques temps, Martin Hellweg, avait quitté le navire. Ou plutôt, il avait quitté ce qu'il avait fait de Swissmetal, un rafiot pourri. A cette époque, il expliquait que sa mission de restructuration était terminée, que le patient sortait des soins intensifs. Filant la métaphore, Martinou ajoutait que régler les derniers détails relevait de la "chirurgie esthétique". On a surtout vu que le patient s'était fait voler les reins et le foie au passage, si Martinou veut bien me passer l'expression. C'est au pied du mur qu'on reconnaît le maçon, est c'est aux dizaines de millions perdus qu'on reconnaît le crétin format galactique restructurateur d'entreprise.



Aujourd'hui, Martinou est moins tout feu tout flamme. De retour chez Swissmetal, avec la casquette de l'indéboulonnable idiot en chef président du conseil d'administration, il succède à des personnalités aussi irremplaçables que Friedrich Sauerländer et François Carrard. Ce poste difficile, payé à coup de misérables dizaines de milliers de francs pour quelques heures passées à regarder la boîte s'enfoncer dans la stratéchie... Ce poste méritait le retour de l'homme providentiel. Nouvellement élu, Martinou explique donc doucereusement que les managements précédents ont été "trop optimistes". "Abyssalement stupides" serait plus adapté, mais Martinou n'a sans doute pas voulu choquer ses prédécesseurs, c'est-à-dire lui-même.

Vu la capacité actuelle de Swissmetal à perdre de l'argent, Laxey, actionnaire principal, est pressé de voir le bout du tunnel. En effet, le groupe est acculé à la faillite et les chances d'éviter cette issue funeste sont faibles. D'autant plus faibles que Laxey ne veut surtout pas l'éviter et a déjà refusé une offre. Laxey possède 32,9% des 6'624'106 de Swissmetal, achetées à environ 40 millions de francs le tout (dans les 18 francs par action, c'est une estimation). Le but? Presser le citron, liquider les actifs dormants, faire monter le cours boursier, et revendre les actions avant que le montage se casse la pipe. Ca n'a pas fonctionné. Laxey est resté chez Swissmetal pour tenter de ne pas perdre sa mise. Aujourd'hui, avec une action qu'on peut regarder tomber à 2 francs, Laxey a perdu dans les 35 millions de francs. C'est ce qui arrive quand on n'écoute pas ceux qui ont raison, les grévistes de 2006.

Laxey est maintenant face à un choix: essayer de remonter l'entreprise pour récupérer l'argent perdu en s'y attelant des décennies ou... La laisser couler, se présenter au portillon comme créancier et se payer en vendant ce qui peut l'être, par exemple les terrains de Dornach. Laxey veut donc la faillite. De ce fait, on reprend Martinou dans la bouche d'égout où on l'avait balancé parce qu'avec quelqu'un comme lui, Laxey a une certitude absolue: Swissmetal ne pourra pas éviter la faillite. Mettez Martin Hellweg aux commandes d'une entreprise, elle crèvera aussi sûrement que si on l'avait bombardée au napalm. C'est une certitude démontrable par la lecture de diverses feuilles officielles. Sans compter que Martinou a ramené toute sa brochette d'experts patentés pour le grand final: Ally Management, dont rien moins que Patrick Huber-Flotho, nouveau CEO de Swissmetal, cet homme qui ne sert à rien, mais qui est collé comme un chewing gum sous les pompes de Martinou.

Vu l'éminente asssemblée qui souhaite désormais lier son destin au naufrage de Swissmetal, Karl se demande si Ally Management n'est pas un peu à cours de mandats. Ou si Laxey n'a pas voulu tous les aligner sur le pont histoire de les exhiber un peu tout en les chargeant du sale boulot. Nous verrons.


Souvenirs stratégiques

Par les effets d'une grande modestie, depuis son retour Martinou parle peu de sa glorieuse biographie dans les journaux. Il serait pourtant dommage de ne pas redire les grandes lignes de son oeuvre.

Martin Hellweg fut avant tout l'homme d'une stratégie destinée à sortir Swissmetal de l'ornière. Quand il arriva aux commandes du groupe, ce dernier était en effet victime depuis longtemps d'un management plus apte à gober des petits-fours en parlant jeux olympiques qu'à gérer des usines. Ca allait changer. Avec Martinou, on allait parler Cologne et carnaval, parce que l'homme est un gai luron. On allait aussi parler stratégie, c'est clair, parce qu'il faut bien avoir l'air un peu sérieux de temps en temps.

Ainsi, Martinou commença par renforcer l'usine de Dornach, dont l'histoire était une suite ascendante de déficits. Pour ce faire, il décida de licencier le directeur de la Boillat. Ensuite, après avoir négocié une sortie de grève avec les naïfs politiciens du canton de Berne, il annonça que la fonderie de la Boillat allait fermer boutique. Les alliages à haute valeur ajoutée seraient fondus à Dornach, dans une fonderie vétuste. Ca n'a jamais fonctionné.

Martinou, dans sa générosité, voulut aussi acheter une nouvelle presse pour l'usine de Dornach. Les mauvais esprits lui assuraient que cette presse ne marcherait jamais mais, voyez-vous, si l'on écoute les mauvais esprits, on n'avance pas! Ainsi fut-il. La nouvelle presse, surnommé "le monstre" dans le rapport annuel 2009 et le "mouton à cinq pattes" partout ailleurs, ne fonctionna jamais. Mais ce n'est pas tout! Une erreur comme ça, d'autres peuvent la faire. Mais une comme celle qui suit, seul Martinou peut y arriver, parce que lui, il n'est pas comme nous. Convaincu d'avoir réussi son coup, Martinou fit démanteler les presses de la Boillat avant même que la nouvelle presse soit opérationnelle. Ainsi, on ne pourrait plus faire marche arrière. Et en effet, maintenant que des millions ont été engloutis dans ce projet... Eh bien on ne peut plus faire marche arrière.

La Boillat produisait des pointes de stylo. Même si c'était rentable, ce n'était pas assez high tech pour Martin Hellweg, qui voulait produire des tubes pour train d'atterrissage selon un procédé révolutionnaire, à Dornach. Jean-Pierre Tardent porta ce projet à bout de bras durant des années. Apparemment, ses bras cassèrent sous la charge, et jamais un de ces fameux tubes ne fut vendu. Qu'advint-il des pointes de stylo? Après la grève de 2006, les machines destinées à les produire à Reconvilier furent démontées et envoyée chez Busch-Jaeger à Lüdenscheid. Mais si on peut transporter les machines, on ne peut pas envoyer le savoir-faire dans la caisse d'à côté. Là non plus, ça ne fonctionna jamais.

Comment a-t-on fait pour financer ces tentatives magistrales? Swissmetal possédait une quantité faramineuse d'actifs dormants sous la forme de stocks de métaux. Ces stocks ont été vendus à un moment où les prix des matières première flambaient. Un joli coup spéculatif n'est-ce pas? Eh non. Aujourd'hui, les prix flambent à nouveau. Swissmetal n'a plus de stock important, plus les moyens d'acheter des matières premières, et ce qui reste est mis sous clé par les banques.

Dès 2006, Martinou décida d'une expansion mondiale de Swissmetal. La stratégie visait "l'excellence opérationnelle" (cf. ci-dessus, chapeau bas l'artiste) et "l'expansion asiatique". Il visita donc la Chine avant de jeter son dévolu sur l'Inde. En 2008, Swissmetal ouvrit donc une usine dans ce pays, probablement au fond d'un garage entre deux vélos. Dans le rapport annuel 2009, on apprend que cette usine "n'est plus une priorité". Elle n'a jamais rien produit.

Sur cette pièce montée de bêtise, il y a évidemment une cerise. Une sorte de quintessence de la stupidité, d'idée tellement aberrante qu'on n'y penserait pas, même essayant d'être imaginatif. Ce fut la Calotile, renommée Atmova suite aux ennuis causés par un petit plaisantin (Karl en rit encore). Qu'est-ce donc? Une tuile chauffante. Elle est creuse, de l'eau froide arrive dedans et en ressort chauffée par le soleil. Coup de génie, cette tuile est en... cuivre. Le cuivre, oui, ce métal qui sert à construire à peu près tout ce qui doit conduire de l'électricité et tout un tas d'alliages irremplaçables. Le cuivre, ce métal horriblement cher. Mais enfin, pourquoi bêtement faire des tuiles en argile, cette matière si facile à trouver, plutôt qu'avec du cuivre qu'on ne peut pas se payer? Dans le rapport de 2010, on apprend que la fameuse Atmova a engendré un déficit de 11,7 millions de francs. Pour une tuile, c'était une tuile. Une grosse.

Martin Hellweg, qui a donc fait perdre au moins 50 millions de francs à son entreprise au lieu de les lui faire gagner, le revoilà. C'est tellement incroyable que Karl ne parvient pas à s'en révolter. "Consterné", voilà le mot.


Oui, mais alors?

A l'heure qu'il est, Swissmetal est presque mort. Hormis le fait que c'est triste pour les ouvrier de Dornach, on s'en fiche. A l'heure qu'il est, la Boillat est presque morte. On s'en fiche bien moins. Les machines ont en bonne partie été déplacées ou détruites, et ce qui reste sera probablement vendu au retour des vacances. En rentrant, les employés auront leur lettre de licenciement chez eux, à n'en pas douter. Le savoir-faire, quand à lui, a disparu depuis un bout de temps. La Boillat, c'est un cadavre que les hyènes s'apprêtent à dévorer.

S'il faut repartir pour une nouvelle Boillat, c'est donc presque de zéro. Des projets dorment dans des tiroirs, des rêves traversent les esprits. Pour une nouvelle Boillat, certains seraient même prêts à un peu de bénévolat. Il y aurait un marché pour des produits estampillés "Boillat". Mais qui se lancerait à coups de dizaines de millions? Espérons... Sait-on jamais.


The end?

La fin de la Boillat, c'est aussi celle de Karl. Ce billet est probablement le dernier, mais il sera correctement suivi, avec la publication des commentaires, etc. En hommage à quelques commentateurs du blog, j'avais envie d'écrire "Pan, Karl est mort!". Mais un personnage inventé peut-il vraiment mourir?

Quoi qu'il en soit, je vous remercie.